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Vos chiens ont plus d’esprit que les nôtres (2 ième partie)

Denys Delage, sociologue et historien

L’archéologie nous informe que la domestication ancienne du chien a conduit à la réduction de sa taille par rapport au loup; dans le nord-est de l’Amérique les chiens étaientplutôt bas sur pattes, pourvus d’un museau allongé et de courtes canines[1]. Un officier de l’armée royale anglaise, Thomas Anbury, de passage à Lorette durant les années de la guerre d’Indépendance américaine, y décrit les chiens des Hurons « de couleur rousse, ayant les oreilles droites, et la gueule allongée, semblable à celle d’un loup », tous dressés pour la chasse, ils égalaient à son avis les meilleurs chiens anglais[2]. Il est impossible de savoir jusqu’à quel point ces chiens étaient déjà mélangés à d’autres d’origine européenne. Selon Franck Speck qui visita en 1925 les communautés innues du lac Saint-Jean et de la côte Nord, on y rencontrait plusieurs types de chiens. Il y avait encore de « vrais chiens indiens », appelés « Mahìkan Atùm » ou chiens loups mais, curieusement, décrits comme étant d’allure vulpine, au ventre blanc et à la toison soyeuse soit rousse soit blanche et grise[3]. De même, d’allure vulpine également, une race de chiens chasseurs d’ours de la nation des Tahltan, sous groupe Tlingit du nord-ouest de la Colombie-Britannique se serait éteinte aussi tardivement que durant les années 1980[4].

 

Toutes ces races auraient disparu probablement avec le recul des anciens modes de vie de leurs maîtres et à la suite des croisements avec les différentes races de chien introduites par les Européens. Ne subsistent donc désormais que les races de l’Arctique dont les phénotypes sont davantage proches du loup, mais pour lesquelles les vieux Inuits, à l’Est principalement, disent souvent qu’ils ne sont plus identiques à ceux d’autrefois[5].

 

Les chiens étaient évidemment indispensables à la vie des Amérindiens et cela à plusieurs chapitres. Pour la chasse, en premier lieu: un chasseur en aura sept ou huit pour la chasse à l’orignal, particulièrement lorsque la croûte de neige supporte les chiens tandis que la proie cale, mais aussi à l’été pour forcer les cervidés à sortir du bois et à s’exposer aux chasseurs qui les abattent sur un plan d’eau; également pour repérer les caches d’ours, le mouvement des castors, pour rapporter de la sauvagine, et plus au sud-ouest, pour la chasse au bison[6]. Par contre, les chiens d’Amérique, ne connaissant pas la compagnie des animaux

domestiques européens, en firent leurs proies : oiseaux de basse-cour, mouton, etc. Ce fut la source de conflits avec les colons[1]. À l’inverse, les porcs des Européens laissés en liberté dévastaient les jardins des Amérindiens.

 

Les chiens servaient également de bêtes de somme pour hâler les traîneaux. Partout sur la banquise, les Inuits se déplaçaient en traîneaux. Dans les Prairies, l’on fixait un travois au dos d’un chien. En 1724, le commandant Bourgmont, à la rivière Missouri, décrit la migration 600 hommes et femmes avec 500 enfants accompagnés de 300 chiens traînant chacun, ce qui est certainement exagéré, pour « environ trois cents livres » de peaux pour leurs tipis avec plats, chaudières et autres ustensiles.   Bourgmont s’étonnait également des charges que portaient les femmes[2].

 

Dans les aires culturelles du subarctique et du nord-est de l’Amérique, le recours aux chiens de trait n’existait pas chez les Algonquiens et chez la plupart des Athapascans[3]. Cette pratique a été introduite par les Européens, parallèlement à l’introduction de nombreuses nouvelles races canines, entre autres, selon le père Nicolas: « des dogues d’Angleterre et de Saint-malo », mais ajoute t-il encore, « il y a parmi les Français [du Canada] de toutes les espèces de chiens que nous avons en France [4]». À l’exemple des premiers colons canadiens qui, tout particulièrement en l’absence prolongée de chevaux, charrient leur bois, leur eau et leurs provisions en traîneaux, à l’exemple également des missionnaires tel le récollet Hennepin, des explorateurs comme Lasalle accompagnés de leurs chiens de traîneau, les Amérindiens admiratifs de cette pratique apprirent à dresser leurs chiens. En conséquence, cela libéra les femmes du port des fardeaux[5].

 

Lors des expéditions militaires d’hiver contre les villages de la frontière de la Nouvelle-Angleterre, Amérindiens et miliciens canadiens pouvaient parfois, car il était rare de trouver des bêtes assez bien dressées, atteler « deux gros chiens à une espèce de traine d’écorces» sur laquelle l’on déposait « son petit bagage »[6]. Attelage de chien et toboggans résulteraient donc d’un échange culturel à double sens. Cela serait caractéristique des Innus, mais seulement à une époque récente, c’est-à-dire la toute fin du XIXe siècle alors que ces derniers acquéraient des Canadiens français, en même temps que le vocabulaire français des commandements, des gros chiens de traîneau (mistàtum), sans pour autant délaisser leurs petits chiens de chasse (mahìkan atum)[1]. Il n’en va pas de même, plus au nord, des Cris qui pour leur part, auraient emprunté le traîneau des Inuit qui y avaient recours depuis des temps immémoriaux[2].

 

[1] Frank G. Speck, op. cit. Mark Derr, op. cit., p.27-35.

[2] Ibid.

 

[1] Gabriel Sagard, op. cit., p. 219 [310] ; Louis Nicolas, op. cit., f 68; Denys Delâge et Etienne Gilbert, «Les Amérindiens face à la justice coloniale française dans le gouvernement de Québec, 1663-1759, II Eau-de-vie, traite des fourrures, endettement, affaires civiles» Recherches amérindiennes au Québec, 2004, XXXIV (1), p. 40. Virginia DeJohn Anderson, op. cit., p. 209-210.

[2]France. AN, Colonies, C13C 4, f. 139 –139v. Relation du voyage de Monsieur de Bourgmont chevalier de l’ordre militaire de St. Louis, commandant de la rivière du Missoury et sur le haut de celle des Akansas du Missoury aux Padoucas. 15 novembre 1724. Il faudrait plutôt retenir, pour de longues distances, 50 livres ( 22,7 kg) pour un chien costaud selon Marion Schwartz, op. cit., p. 52.

[3] Bryan D.Cummins, op. cit., p.147-151; Marion Schwartz, op. cit., p.52.

[4]Louis Nicolas, op. cit. f. 67-68.

[5] Pehr Kalm, op. cit., p. 300, 379, 446 [ 760, 812, 856]; Louis   Nicolas, op. cit., f. 67; Louis Hennepin, Nouvelle découverte d’un très grand pays situé dans l’Amérique, Utrecht, Guillaume Broedelet, 1697, p. 17-18, 96; R. G. Thwaites, op. cit., t. 58, (1673), p.63 ; t. 64, (1695), p. 250-252; Frank G. Speck, op. cit.

[6] France. AN, colonie C11A 122, f. 39-39v [ Raudot ?], 2e lettre. A Québec, ce 20 8 bre. 1705 [1718].

 

[1]Grant Keddle, , «Prehistoric Dogs of B.C.:Wolves in Sheeps’ Clothing?» The Midden, Publication of the Archeological Society of British Columbia, t. 25, no.1, February 1993, p. 3; Marion Schwartz, op. cit., p. 10, 16; Jean Piérard, Marc Côté et Lyn Pinel, 1987 « Le chien de l’occupation archaïque du site Cadieux », Recherches amérindiennes au Québec, 1987, vol. XVII, no2, p. 60.

 

[2] Thomas Anbery, Voyages dans les parties intérieures de l’Amérique pendant le cours de la dernière guerre, Paris, Briand Libraire, 1790, p. 64.

[3] Frank G. Speck, « Dogs of the Labrador Indians » Reprinted from Montreal History, 1925, vol. 25 : 58-64. La copie n’est pas paginée et ne reprend pas les photographies de l’original.

 

[4] Bryan D Cummins, op. cit., p.193-206.

[5] Frédéric Laugrand, communication personnelle. Un article de Scott Weidensaul, «Tracking America’s First Dog», Smihtsonian, Magazine of the Smithsonian Institution, 1999, p. 44 – 57, nous informe de l’existence d’un chien sauvage de Caroline du Sud, «Carolina dog», vivant dans les terres humides d’une région isolée de cet État, dont les caractéristiques sont nettement apparentés aux premiers chiens des Amérindiens. Les analyses de l’ADN ne se sont toutefois pas avérées probantes.

[6] Nicolas Denys, Histoire naturelle des peuples, des animaux, des arbres et des plantes de l’Amérique septentrionale et de ses divers climats, Paris, Claude Barbier, 1672, p. 326-327, 429-434; Gabriel Sagard: op. cit., p. 88-89 [128-129]; François-Xavier Charlevoix op. cit., p.300, 316, 322 ; R. G. Thwaites, op. cit., t. 6, (1633-1634) p. 298; Ibid. t. 60, (1675-1677) p. 150-152 ; Louis Nicolas, op. cit., f. 67; Pehr Kalm, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, Montréal, Tisseyre, 1977,  p. 377 – 378 [811].